Octave Bonnaud, rédacteur en chef de La Lettre.
Octave Bonnaud, rédacteur en chef de La Lettre. © Étienne Boulanger/La Lettre
La Lettre A devient ce lundi La Lettre. Il faut dire que le choix de ce A en 1978 relevait plus de la tactique commerciale que d'une vision du journalisme. Ce nom, qui était initialement " A (La Lettre) ", avait surtout pour but d'apparaître au plus haut de la première page de l'annuaire, un Graal presque aussi recherché que de remonter aujourd'hui en tête des occurrences sur Google.

Au-delà de son étrangeté, ce A témoigne de l'heure de gloire des lettres confidentielles qui avaient vocation à inscrire noir sur blanc les "off" que les journalistes de grandes rédactions n'osaient publier dans leurs propres colonnes. La Lettre A se plaçait ainsi sur le créneau de La Lettre de l'Expansion, qui avait, quatre ans plus tôt, mentionné en trois lignes l'accrochage très matinal de la voiture présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing avec une camionnette de laitier.

Exclusivité

Après son rachat par le groupe indépendant Indigo Publications en 2007, La Lettre A a noué un nouveau contrat avec le lecteur : celui de l'info exclusive et stratégique. Pour satisfaire des abonnés qui avaient déjà tout lu - ou disposaient d'une revue de presse quotidienne sur leurs secteurs d'activité -, chaque information, pour être digne de figurer dans ses colonnes, devait n'avoir jamais été publiée ailleurs.

La promesse initiale - qui guide toujours la rédaction - peut sembler commune. D'autres médias publient régulièrement des articles qu'ils distinguent du reste de leur édition par un large bandeau "exclusif". Elle est en réalité plus ambitieuse : La Lettre A est le premier média à faire de cette exception une règle, en exigeant que l'information principale de chacun des articles publiés soit inédite. Ce positionnement - seulement de l'exclu ! - assure aux lecteurs les mieux informés des dossiers qu'ils y découvriront des faits importants. Le pari implique aussi un agenda déconnecté de l'actualité qui épargne à nos abonnés ces grandes "séquences de communication" organisées par les pouvoirs politiques et économiques, dont ils liront les "retombées presse" ailleurs.

Encore hebdomadaire, La Lettre A s'est peu à peu imposée pour son regard acerbe et sa distance critique vis-à-vis des dirigeants de la sphère publique, des grands groupes et des médias. Les performances dopées du moteur de recherche Qwant ont ainsi fait l'objet de plusieurs enquêtes avant la déroute de son fondateur en 2020. Certaines archives prennent aussi une saveur particulière, comme celle publiée sur le passé de Gérald Darmanin, l'actuel ministre de l'intérieur qui écrivait dans une revue royaliste de l'Action française, et fréquentait quelques grandes familles de ce mouvement dans sa jeunesse (LL du 22/09/16).

La campagne présidentielle de 2017 a marqué un tournant avec les révélations sur 2F, la société de conseil du candidat François Fillon qui avait facturé plus de 400 000 € de prestations de conseils lorsqu'il était député (LL du 24/11/16). La divulgation, au lendemain du second tour, de la liste des plus grands donateurs d'En Marche !, a valu à La Lettre A une étrange plainte pour "recel d'atteinte à un système automatisé de données" du parti d'Emmanuel Macron, finalement classée sans suite par le parquet (LL du 25/05/17).

L'épisode a eu le mérite de conforter la rédaction dans l'une de ses convictions : les noms - toujours indiqués en gras - sont de précieuses informations pour nos lecteurs. Car raconter les processus de décision, c'est avant tout nommer ceux qui les prennent et les influencent, comme notre Grande Enquête le montre aujourd'hui en dévoilant ceux des participants au dernier dîner du Siècle.

Village des pouvoirs

Devenue quotidienne en 2018, La Lettre A a gagné en visibilité. Son indépendance en a fait un refuge pour des enquêteurs en herbe comme des plus aguerris, dans un contexte de concentration des médias. La hausse soutenue du nombre d'abonnés a permis de doubler les effectifs de la rédaction depuis 2020 et d'ouvrir un bureau à Bruxelles (LL du 06/04/22). Les articles sont désormais signés, de plus en plus collectifs, et établissent d'abord des faits pour tenir le serment fait à nos lecteurs : produire une information fiable et précise sur ceux qui exercent le pouvoir en France, sans jamais céder à la fascination ou aux clichés ambiants.

Les révélations parues ces tout derniers mois témoignent de cette focale resserrée sur le sommet des grands groupes, de l'État et des médias, que vient marquer la simplification du nom avec La Lettre. Comme celles sur le bras de fer silencieux opposant Elisabeth Borne à Gérald Darmanin sur l'espionnage des activistes écolos, ou sur les coulisses de l'exfiltration du directeur de Viginum, au cœur de l'été (LL du 02/06/23 et du 11/09/23).

C'est également sur notre site que les journalistes des Échos ont appris l'intervention de Bernard Arnault pour écarter leur directeur de la rédaction ou que ceux de La Provence ont suivi l'intense bras de fer opposant Rodolphe Saadé à Xavier Niel pour le contrôle de leur quotidien (LL du 21/03/23). Ou encore que nos lecteurs ont découvert l'étonnante tolérance de Vincent Bolloré pour les pertes financières qui touchent le groupe Canal+ en France, tout comme le lobbying pour le moins dissonant mené par EDF et le gouvernement sur le nucléaire à Bruxelles (LL du 03/07/23 et du 08/09/23).

Fidèle à sa vocation, en anticipant le big bang en cours du secteur de la grande distribution, votre quotidien a naturellement décrit la mécanique froide qui rendait inéluctable la chute du groupe Casino et de son président, Jean-Charles Naouri. Ce qui lui a valu en juin une procédure en diffamation. La justification du préjudice réclamé, hors norme dans un procès de presse - 13 millions d'euros -, a vite trahi son objectif réel : décourager la publication de toute information économique sur les grands groupes lorsqu'elle remet en cause la communication financière officielle. La continuité du suivi de Casino - avec ce lundi un article sur la réouverture d'une enquête de l'Autorité des marchés financiers sur le groupe - démontre l'effet pour le moins négligeable que ce type de pression peut avoir sur votre quotidien.

En plus du récit dévoilant un moment de rencontre entre État profond et puissances du CAC 40 au Cercle de l'Union interalliée, les lecteurs découvriront aujourd'hui les aspects passés sous silence de la cession en cours du groupe Atos. Alors que le gouvernement relativise la sensibilité des missions qui passeront dans le giron de Daniel Kretinsky, nous dévoilons que plusieurs contrats en cours nécessitent en réalité des dizaines d'habilitations secret-défense pour ses ingénieurs.

Dans ce premier numéro, nous révélons également l'ascension discrète du magnat des télécoms et des médias Xavier Niel au sommet de tour Montparnasse, le prochain point de chute d'un ex-conseiller d'Elisabeth Borne, l'activisme d'un cabinet de lobbying qui organise un grand rendez-vous des industriels de la défense à Bruxelles, le coup de ciseau budgétaire qui se prépare aux Échos et l'irruption de la crise au JDD dans les débats budgétaires à l'Assemblée nationale. Avec une ambition, celle de La Lettre tous les matins à 6 h 20 : vous raconter le village des pouvoirs tel qu'il est, en toute indépendance.

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Octave Bonnaud
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