Eric Zemmour, lors d'un débat organisé par Valeurs actuelles en mars 2022.
Eric Zemmour, lors d'un débat organisé par Valeurs actuelles en mars 2022. © Alain JOCARD / AFP

Les médias de droite et d'extrême droite ne se sont pas contentés d'ouvrir leurs colonnes et micros à Eric Zemmour pendant la présidentielle. D'après ses comptes de campagne, auxquels La Lettre A a eu accès, Le Figaro et Valeurs actuelles ont aussi mis au service du candidat leurs outils commerciaux et publicitaires, tandis que CNews lui a apporté une forme d'avantage en nature.

Pour son ciblage électoral, le candidat de Reconquête! a ainsi exploité près de 35 000 adresses postales de lecteurs du magazine Valeurs actuelles. Ce fichier clients a été loué par l'hebdomadaire à un prestataire de Reconquête, la société Ad Litteram dirigée par un certain Tristan Mordrelle. Fils d'un autonomiste breton condamné à mort par contumace pour collaboration à la Libération, ce spécialiste de la prospection par courrier des sympathisants d'extrême droite est une figure des réseaux révisionnistes. Le sexagénaire a également récupéré, pour le compte d'Eric Zemmour, 20 000 adresses issues du lectorat de Mieux vivre votre argent, magazine à l'époque édité, comme Valeurs actuelles, par Valmonde. Ce groupe de presse était alors présidé par le directeur de la rédaction de l'hebdomadaire, Geoffroy Lejeune, un intime d'Eric Zemmour. Contacté par La Lettre A, il n'a pas donné suite.

Signe que le candidat s'est efforcé de mobiliser un électorat âgé et radical à droite, son QG de campagne a aussi tiré parti des coordonnées postales issues de la base de Politique Magazine, revue proche du mouvement royaliste Action française.

Le patron du Figaro contraint de se justifier

Eric Zemmour a par ailleurs su utiliser la promotion de son livre La France n'a pas dit son dernier mot comme une rampe de lancement. Une quinzaine de jours avant qu'il n'annonce officiellement sa candidature, l'ex-journaliste a fait appel au Figaro pour en faire la publicité. Le 10 novembre 2021, sa société d'édition, Rubempré s'est ainsi offert un encart en quatrième de couverture du quotidien. Deux jours plus tard, c'est dans Le Figaro Magazine que l'essayiste d'extrême droite a passé une réclame.

Le Figaro était d'ailleurs toujours l'employeur d'Eric Zemmour : son contrat avait été suspendu en août 2021 sous pression de la rédaction, mais la plume était encore officiellement dans les effectifs. Si bien qu'à l'époque, ces deux pleines pages de pub avaient suscité un malaise au sein de la rédaction. D'après nos informations, la Société des journalistes (SDJ) et des élus du Syndicat national des journalistes (SNJ) s'étaient inquiétés auprès de la direction d'un éventuel coup de pouce concédé par la régie par rapport aux tarifs habituellement pratiqués. L'état-major du quotidien détenu par le groupe Dassault s'était alors réfugié derrière le secret commercial. Les comptes de campagne du candidat d'extrême droite montrent qu'il a pourtant bien bénéficié d'une belle ristourne : 217 000 euros au total, dont 198 000 pour la seule "der" du Figaro, soit une décote de 90 %. Un chiffre élevé malgré les très fortes remises pratiquées couramment par les titres de presse.

CNews en situation irrégulière

Ces rabais ont fait tiquer la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui a demandé aux équipes du candidat de s'expliquer sur ce qui aurait pu être considéré comme un avantage indirect accordé par Le Figaro. Celles-ci ont ainsi été contraintes de demander au directeur général du Groupe Figaro, Marc Feuillée, de leur faire parvenir un courrier dans lequel il atteste que ces remises "ne sont pas réservées à M. Zemmour" mais "constituent une pratique professionnelle du marché de la publicité très ancienne et connue (...) notamment pour les annonces culturelles et littéraires". La CNCCFP a finalement accepté ces explications.

A l'inverse, le gendarme des comptes de campagne a considéré que la visibilité donnée à Eric Zemmour et à ses idées par la chaîne CNews dans l'émission Face à l'Info a constitué "un concours en nature d'une personne morale", interdit par le code électoral. L'éditorialiste y officiait quotidiennement entre juillet 2021 (date de début d'examen de la CNCCFP) et son départ de la chaîne, en septembre 2021. Pour cette irrégularité, la commission a infligé une amende de 200 000 euros au candidat en retranchant directement cette somme du remboursement accordé par l'Etat.

Alexandre Berteau, Pierre Januel
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