Le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin.
Le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin. © Christophe Petit Tesson/EPA/MaxPPP

Ce vendredi 27 octobre, Gérald Darmanin, mobilisé par la menace terroriste islamiste, devra justifier son offensive sémantique pour désigner sous le vocable "éco-terrorisme" les activistes écologistes les plus déterminés. Son décret du 21 juin visant à dissoudre Les Soulèvements de la terre (SLT) sera examiné par le Conseil d'État, sur le fond. Une audience en référé avait suspendu son application en arguant d'un "doute sérieux" sur sa légalité.

Or, selon nos informations, les observations produites par Pascale Léglise, en tant que directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, n'apportent pas d'éléments nouveaux de nature à répondre aux arguments des représentants des Soulèvements de la terre et de leurs soutiens. S'il devait déclarer illégale la dissolution de ce collectif, le Conseil d'État confirmerait les doutes d'Elisabeth Borne. Les services de la première ministre avaient freiné les ardeurs du ministre de l'intérieur, qui avait dû batailler pendant trois mois avant de pouvoir signer le décret contesté. En lien avec cet affrontement, Matignon et Beauvau s'opposaient également sur les conditions de mise sous surveillance par les services de renseignements de ces activistes écologistes (LL du 02/06/23).

Alors que la décision en référé avait été rendue par trois conseillers d'État, le 11 août, l'affaire sera cette fois-ci examinée par le président de la section du contentieux, Christophe Chantepy, les trois présidents adjoints, les dix présidents de chambre et le rapporteur de l'affaire.

Une épaisse note des services de renseignement

Pour justifier à nouveau la dissolution, le ministère de l'intérieur, dans sa note du 3 octobre consultée par La Lettre, a exposé sur 54 pages la philosophie et l'organisation des Soulèvements de la terre. S'appuyant sur une note des services de renseignements de 243 pages, il démontre notamment que, bien que ce collectif n'ait jamais été enregistré comme une association et bien que son logo n'ait pas été déposé, ses fondateurs Nicolas Garrigues et Joan Monga, alias Benoît Feuillu et Basile Dutertre, ont bien créé une structure de financement "Pour la défense des terres", qui permet de collecter les dons en soutien aux luttes via la plateforme HelloAsso.

S'appuyant sur des sources ouvertes, mais aussi sur des investigations policières, Beauvau documente également la rhétorique des écologistes radicaux, de nature à préparer les sabotages, qu'ils rebaptisent "désarmements". Lors du premier examen par le Conseil d'État, toutefois, cette démonstration n'avait pas suffi à convaincre les juges de restreindre la liberté d'association, la liberté de manifester, la liberté d'expression et la liberté de réunion, pour confirmer la dissolution.

Gandhi et Martin Luther King convoqués

Piquée par la décision de suspension du mois d'août, Pascale Léglise s'éloigne de l'argumentation purement juridique pour écrire : "Contrairement à ce qu'a retenu votre juge des référés, par sa communication violente, récurrente et assumée, Les Soulèvements de la terre cherchent à l'évidence à provoquer des agissements violents à l'encontre des biens, à les encourager, voire à s'en féliciter en les revendiquant, mais également à l'égard des forces de l'ordre, perçues comme un rempart à son action, en banalisant purement et simplement les violences commises à leur encontre." La représentante de Gérald Darmanin, citant le philosophe américain Henry David Thoreau, le Mahatma Gandhi et Martin Luther King, entend convaincre les magistrats administratifs que ces leaders écologistes ne sauraient se réclamer de la "désobéissance civile", par définition non-violente selon elle, mais s'apparentent à l'"ultra-gauche".

Pour justifier le trouble grave à l'ordre public, la démonstration est illustrée par de nombreuses photos et des captures d'écran, qui donnent notamment à voir l'action des black blocs. Or, Pascale Léglise, malgré les investigations de la DGSI et de la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT), n'est pas en mesure de préciser la responsabilité personnelle des activistes qui animent le collectif dans les actions violentes perpétrées. De fait, les policiers n'ont pas pu démontrer que les membres du collectif cautionnent directement, d'une quelconque façon, les violences à l'encontre des personnes, en particulier "des agressions physiques contre les forces de l'ordre". Tout juste est-il reproché aux dirigeants de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour les faire cesser.

L'évaluation contestée des dégâts matériels

Le ministère de l'intérieur enfin, s'agissant des atteintes aux biens, réplique aux juges des référés qui les avaient qualifiés de "circonscrits". Ces derniers avaient relevé que la principale victime des quatorze actions énumérées, la cimenterie Lafarge, après avoir annoncé un préjudice de 800 000 euros, à la suite de l'irruption d'activistes dans le site l de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône) le 10 décembre 2022 et l'introduction de sable dans une pompe, n'a pas jugé utile de se présenter à l'audience.

Malgré tout, la Place Beauvau continue d'évoquer, pour cette action, "7 millions d'euros de destruction et une perte d'activité estimée à 6 millions d'euros", sans produire aucun document pour justifier son estimation des dégâts. Or, ce type de lacune avait précisément permis aux avocats des Soulèvements de la terre de contester l'existence d'un trouble grave à l'ordre public.

Un parallèle avec les identitaires et les islamistes

En outre, dans ses dernières écritures comme dans les précédentes, la Place Beauvau opère à nouveau un parallèle entre la menace des écologistes radicaux, d'une part, et celle des mouvances d'extrême droite et islamistes, d'autre part. Mentionnant les récentes dissolutions de Génération identitaire et de BarakaCity, Pascale Léglise dénie aux Soulèvements de la terre la possibilité de se prévaloir de la protection particulière de la Charte de l'Environnement. Lors du référé, le Conseil d'État avait pourtant tenu compte de ce texte à valeur constitutionnelle, intégré en 2005, qui prévoit que "toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement".

Daniel Bernard
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