Le logo de la Monnaie de Paris.
Le logo de la Monnaie de Paris. © MAXPPP

La Monnaie de Paris a continué à frapper des pièces plusieurs jours après que la Commission européenne a jugé leur design non conforme en décembre. Et, depuis les révélations de La Lettre sur la production de ces 27 millions de monnaies de 10, 20 et 50 centimes ne respectant pas le cahier des charges européen (LL du 11/01/24), une "évaluation" a été annoncée, à la demande du ministère de l'économie et des finances.

Cette mission, qui ne porte pas formellement le nom d'enquête, en affiche toutefois toutes les caractéristiques. Elle est menée par l'ancienne directrice générale déléguée de Webedia, Magali Viandier, présidente du comité d'audit et des comptes de la Monnaie de Paris, par ailleurs membre de son conseil d'administration. Elle doit rendre les conclusions de son audit dès le mois de février et proposer des "mesures de remédiation" aux services de Bercy.

Celle-ci va devoir se pencher sur la chaîne de responsabilité qui a conduit la direction de l'établissement public, en premier lieu son PDG, Marc Schwartz, à lancer la production de nouvelles monnaies à marche forcée, juste avant une visite alors programmée du ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire au siège de l'institution, quai de Conti. Le tout sans attendre le feu vert, obligatoire, de la Commission européenne.

L'embarras de la Commission

Selon nos informations, la DG ECFIN (affaires financières et économiques) de la Commission avait pourtant alerté discrètement la Direction générale du Trésor français le vendredi 1er décembre sur la non-conformité de ces nouvelles pièces. Signe de l'embarras de Bruxelles, cette communication avait été faite de "façon informelle", évitant à Paris l'humiliation d'un courrier officiel de refus des centimes défectueux.

L'information a en tout cas été transmise le soir même à la Monnaie de Paris. Mais, de manière étonnante et malgré ce feu rouge explicite, elle a continué de frapper des pièces dans son usine de Pessac (Gironde) le lundi suivant. Avant d'arrêter la production le mardi 5 décembre au matin à la suite d'une "réponse définitive"… mais toujours négative de la Commission, indique aujourd'hui la direction de l'établissement français. 

Celle-ci a donc persisté pendant au moins 24 heures à faire frapper des pièces non conformes aux yeux de Bruxelles, en espérant jusqu'au bout pouvoir négocier en coulisse le maintien de ses euros neufs. En tout, la production s'est étalée sur un mois, de novembre à décembre, forçant les équipes de production, d'emballage et d'expédition à travailler à flux tendu.

En urgence, la Monnaie de Paris a ensuite fait soumettre un nouveau design à la Commission par Bercy, envoyé à Bruxelles le 12 décembre et approuvé formellement le 21 décembre. À la tête de la mission d'évaluation, Magali Viandier va désormais devoir déterminer le coût final de la bourde pour la Monnaie de Paris. Un premier bilan interne, réalisé fin décembre, évaluait celui-ci entre 700 000 et 1,2 million d'euros.

La facture s'alourdit

Ce montant pourrait en réalité être plus élevé. Car à Pessac, il faut dorénavant stocker dans des locaux sécurisés les 27 millions de pièces non conformes destinées à être détruites. L'institution doit aussi renforcer ses mesures de sécurité internes pour prévenir toute tentative de vol : ces pièces de monnaies sont devenues des raretés et sont susceptibles d'intéresser les collectionneurs. Il faut surtout éviter de mélanger les monnaies défectueuses avec les nouvelles pièces frappées depuis.

De quoi donner des cauchemars à la direction de l'établissement public, s'agissant d'une usine dans laquelle avait été déjà été perdu, en 2020, un conteneur contenant plusieurs milliers de pièces de deux euros. La direction de la Monnaie de Paris évoque aujourd'hui un simple "écart" dans ses "systèmes d'information", démentant toute disparition. Mais une enquête diligentée sur ce cas avait abouti en 2021 à la démission de deux cadres en charge de la sécurité.

Colère du PDG

À la Monnaie de Paris, l'ambiance n'est en tout cas pas au beau fixe. En visite le 16 janvier à l'usine de Pessac, le PDG aurait profité de la galette des rois du personnel pour exprimer publiquement son mécontentement sur les fuites à la presse entourant cette embarrassante affaire.

Pour Marc Schwartz, l'histoire tombe en effet au plus mal, alors qu'il s'apprête à être promu ce mois-ci chevalier de la Légion d'honneur. La décoration a été approuvée en décembre sur proposition de la première ministre Élisabeth Borne.

Droit de réponse de la Monnaie de Paris du 27/01/24 : "Votre article intitulé " La bévue sur des millions de pièces vire à la crise à la Monnaie de Paris " appelle les rectifications suivantes. Il est faux d'affirmer qu'une " mission d'évaluation " placée sous la responsabilité de la présidente du comité d'audit et des comptes de La Monnaie de Paris serait en cours, pour " faire la lumière sur la chaîne de responsabilités au sein de la Monnaie de Paris " et " proposer des mesures de remédiation aux services de Bercy ". Ces affirmations, qui visent à faire apparaître La Monnaie de Paris en position d'accusé, sont inexactes et très préjudiciables à notre établissement. Vous affirmez également que La Monnaie de Paris aurait continué à frapper des pièces dont le dessin n'avait pas été validé par la Commission européenne malgré le refus de cette dernière. De nouveau votre présentation ne restitue pas les faits exacts. La Monnaie de Paris a sollicité l'approbation d'un projet de dessin en septembre 2023, conformément aux procédures en vigueur. La Commission européenne a fait part informellement de ses réserves sur ces dessins début décembre, car elle considérait que les douze étoiles du drapeau européen n'étaient pas assez visibles. Or compte tenu des délais de production incompressibles et de la complexité inhérente aux processus industriels engagés, La Monnaie de Paris avait dû initier la production desdites pièces afin d'en assurer la diffusion début 2024 conformément à ce qui avait été annoncé, et permettre la commercialisation en décembre des versions numismatiques, toujours attendues des collectionneurs à cette date. La réponse négative définitive de la commission ne nous a été communiquée que le mardi 5 décembre et la production a été immédiatement arrêtée. La présentation que vous faites de cette séquence en évoquant le fait que La Monnaie de Paris aurait espéré " jusqu'au bout pouvoir négocier en coulisse " n'est donc pas correcte. Enfin, vous évoquez le stockage des pièces dont le dessin n'a pas été validé. Dans un article précédent, vous affirmiez que les pièces avaient été détruites. En réalité elles ont bel et bien été stockées, et ce afin d'être intégralement recyclées pour la production de nouvelles pièces en 2024. À ce propos, vous mentionnez un événement sans aucun rapport survenu selon vous en 2020 (en réalité en 2021, cette information étant également erronée) concernant un container dont vous indiquez, à tort, qu'il aurait été " perdu ". Ce container n'a pas été perdu mais a fait l'objet d'un écart de saisie dans notre système d'information où il n'apparaissait pas, écart qui a été corrigé ultérieurement. Vous insinuez ainsi que les " 27 millions de pièces non conformes " pourraient ne pas être stockées dans des conditions de sécurité suffisantes. Au contraire, toutes les mesures de sécurité nécessaires ont été prises. Le rapprochement que vous opérez est artificiel, infondé et diffamatoire."

NDLR : Malgré les dénégations de la Monnaie de Paris, une mission d'évaluation sur la production de centimes d'euros non conformes est bien en cours au sein de l'institution, et les services du ministère des finances ont demandé à en connaître les conclusions. Sur le reste, le droit de réponse de la Monnaie de Paris confirme les faits relatés par La Lettre dans son article, et notamment le fait que, malgré les réserves "informelles" de la Commission européenne, la Monnaie de Paris a bien continué à produire des euros non conformes.

Matthieu Fauroux
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