Elisabeth Borne et Gérald Darmanin.
Elisabeth Borne et Gérald Darmanin. © Emmanuel DUNAND / AFP

Un bras de fer oppose, depuis plusieurs mois, les services du ministère de l'intérieur et Matignon, à propos des écologistes radicaux. L'usage de techniques de renseignement à leur encontre fait l'objet de négociations sans concession. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le service central du renseignement territorial, notamment, se heurtent aux services de la première ministre.

Ces derniers contrôlent chaque demande écrite et consultent avant d'y répondre la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), autorité administrative indépendante présidée par Serge Lasvignes. Selon nos informations, le taux de refus par Matignon reste stable, autour de 1 %, mais augmente en volume en raison d'une hausse globale des sollicitations. Ces frottements, qui ont vocation à rester confidentiels, nourrissent néanmoins la querelle entre Elisabeth Borne et Gérald Darmanin.

Sous la forme de "demandes de précision", la CNCTR a contraint ses interlocuteurs des services d'enquête à préciser la gravité de la menace représentée par telle ou telle "cible" appartenant aux mouvances écologistes radicales. Le profil banal de la plupart de ces militants, généralement sans antécédents judiciaires, est l'objet d'appréciations contradictoires. Ce nouveau débat tranche avec le modus vivendi s'agissant des personnes impliquées dans des actes de banditisme ou de terrorisme, et même des violences de militants issus de groupements d'extrême droite et d'extrême gauche.

A ce jour, Elisabeth Borne revendique d'avoir suivi tous les avis défavorables de la CNCTR, refusant de criminaliser la contestation politique et de confondre désobéissance civile et violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.

"Ecoterroristes" ou "militants du climat" ?

Des indices de cette confrontation à bas bruit sont apparus publiquement lorsque Gérald Darmanin a utilisé le terme "écoterroriste", à l'occasion des affrontements autour des méga-bassines de Sainte-Soline. De son côté, Elisabeth Borne indiquait encore récemment que "les militants du climat" étaient "dans leur rôle d'alerter". En outre, les velléités de dissolution "de fait" - c'est-à-dire non déclarée en préfecture -, de l'association Les Soulèvements de la terre par le ministre de l'intérieur, ont été bloquées par les conseillers de Matignon.

S'agissant des techniques de renseignement visant ces mêmes militants écologistes, une différence d'approche oppose Matignon et Beauvau. Elle porte sur la notion floue de "risque de passage à l'acte", parfois utilisée pour justifier une requête. L'opposition entre les deux institutions est surtout vive pour les demandes de sonorisation d'un lieu privé, de captation d'images, ou d'aspiration des données d'un appareil électronique. L'argument de la protection des libertés est plus difficile à mobiliser pour empêcher les renseignements territoriaux ou de la DGSI de rechercher le numéro de téléphone portable d'une cible.

Environ 23 000 personnes "cibles"

Sur recommandation de la CNCTR, certaines demandes écrites ont été rejetées, au motif que les services n'étaient pas en capacité de démontrer que tel "écolo" activiste ciblé s'inscrivait dans un processus de radicalisation violente, menaçant des personnes ou faisant peser, par une atteinte aux biens, une menace sur la paix publique. Chaque semaine pourtant, des fonctionnaires du ministère de l'intérieur se rendent rue Saint Dominique ou accueillent des contrôleurs du CNCTR Place Beauvau, pour un "topo" sur tel groupuscule, ou discuter de telle difficulté juridique.

Tenus par la loi au secret absolu, les services de Matignon et de l'intérieur ne font rien fuiter de ce débat sécurité-liberté. Et s'entendent pour renvoyer à la publication, imminente, du rapport annuel de la CNCTR. Les chiffres de 2022 devraient être connus courant juin. La proportion de personnes surveillées en France au titre de "la prévention des violences collectives", qui intègre les activistes écologistes, progresse de manière continue depuis le mouvement des gilets jaunes. Selon nos informations, elle aurait presque doublé, passant de 2 100 individus en 2018 à plus de 3 500 aujourd'hui, sur un total d'environ 23 000 cibles.

Daniel Bernard
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